Baudolino, ou les « hallucinations » avant l'heure
En lisant Baudolino de Umberto Eco, je suis tombé sur ce passage que je trouve le plus drôle du livre.
Baudolino, partageant l’opinion d’Otton sur la maigre imagination du pauvre chanoine, avait jugé utile de l’alimenter un peu, et, après lui avoir communiqué quelques titres de manuscrits qu’il avait vus, il lui en avait cité d’autres qu’il avait adroitement inventés, par exemple le De optimitate triparum du Vénérable Beda, un Ars honeste petandi, un De modo cacandi, un De castramentandis crinibus, et un De patria diabolorum. Toutes œuvres qui avaient suscité l’étonnement et la curiosité du bon chanoine empressé à demander copies de ces trésors inconnus de la sapience. Service que Baudolino lui aurait rendu de bon gré, pour guérir le remords de ce parchemin d’Otton qu’il avait effacé, mais il ne savait vraiment pas quoi copier, et il avait dû inventer que ces œuvres se trouvaient, certes, à l’abbaye de Saint-Victor, mais elles étaient en odeur d’hérésie et les chanoines ne les laissaient voir à personne. « J’ai su par la suite, disait Baudolino à Nicétas, que Rahewin avait écrit à un docte Parisien qu’il connaissait, le priant de demander ces manuscrits aux victoriens, qui n’en ont évidemment pas trouvé trace; ils ont accusé leur bibliothécaire d’incurie, et le pauvre de jurer que lui, il ne les avait jamais vus. J’imagine qu’au bout du compte quelque chanoine, pour mettre les choses en place, aura fini par écrire vraiment ces livres, et j’espère qu’un jour quelqu’un les trouvera. » (p. 99-100)
Le livre date de 2000, bien avant la fièvre des grands modèles de langue qui produisent des références qui n’existent pas (« hallucinées »).
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