L’an passé, je concluais une présentation pour la journée d’étude « Donjons & Labo : les lieux du jeu » avec une diapositive très lacunaire sur le jeu de rôle sur table comme un jeu sur les attentes. Après avoir lu l’article « Pretensive Shared Reality: From Childhood Pretense to Adult Imaginative Play » (1), j’ai enfin l’opportunité de développer ce point aujourd’hui.
Tout rôle social peut être décrit avec de nombreux éléments : des statuts, des fonctions, … et des attentes (role expectations) :
Quand les attentes ne sont pas explicites et partagées par tous les agents, chacun est dans la présomption (assumption). Les relations sociales sont problématiques quand les présomptions sur autrui (connaissances, émotions, motivations) sont erronées. La meilleure manière d’éliminer les présomptions est de poser des questions adaptées.
Dans la vie de tous les jours, chacun endosse une série de rôles. Ces rôles peuvent s’emboîter, se chevaucher, être en conflit, s’alterner, etc. Cette multitude de rôles vient avec une multitude d’attentes. En psychologie sociale, la théorie des rôles ou role theory étudie spécifiquement ces phénomènes.
Il peut être difficile pour quelqu’un de lister/expliciter les attentes, de les hiérarchiser, de les clarifier, de comprendre leur étendue ou leurs limites. Certaines attentes peuvent être perçues comme non choisies et potentiellement infinies. Cette confusion peut générer de l’anxiété.
Lorsque l’on joue à un jeu de rôle ou un jeu de faire semblant dans une réalité alternée partagée (pretense shared reality) (1), on adopte seulement deux rôles clairement emboîtés l’un dans l’autre : un rôle de joueur et un rôle de personnage. Contrairement aux attentes de la vraie vie, les attentes en situation de jeu sont délimitées dans le cadre du jeu (concept de cercle magique ou magic circle) et elles sont choisies (participation volontaire et consciente au jeu).
Parfois, quand le rôle de joueur est prépondérant, alors les attentes sont principalement sociales. La dimension de l’hospitalité peut être importante (2) : certains sont hôtes, d’autres sont invités. Certains maîtrisent les règles, certains ont l’autorité sur la narration, certains génèrent de la fiction, d’autres y réagissent, etc.
Parfois quand le rôle de personnage est prépondérant, alors l’accent est mis sur l’immersion. Dans ce cas, les attentes sont principalement narratives et diégétiques (c’est-à-dire elles proviennent de la fiction).
Depuis une dizaine d’années, de nombreux jeux et accessoires poussent à clarifier les attentes autour de la table avec outils dits « de sécurité émotionnelle ». Ces innovations ont rencontré une résistance, principalement sous le prétexte que c’étaient des méthodes infantilisantes. Selon Ludomancien, clarifier les attentes est une preuve de maturité. Exemples : la X Card de John Stravopoulos (2012), les principes du maître de cérémonie de Apocalypse World, le Same Page Tool de Bankui, etc.
Une étude récente (3) montre que lorsque des acteurs improvisent des réponses à des situations où ils incarnent les personnages de Roméo & Juliette, leur activité cérébrale est moins intense. Cela suggère une baisse du sentiment de soi (loss of self). Hypothèse : Cela est peut être dû au fait que l’acteur ne se soucient pas des attentes. Ce qui nous amème à élaborer d’autres hypothèses…